PROSCRIRE LES COMMENTAIRES CAMOUFLÉS
Les récits les plus factuels ne sont pas à l’abri du mélange des genres. Il suffit d’un nom, d’un verbe, d’un adjectif, utilisé de propos délibéré, ou sans réflexion, au fil d’une narration, pour orienter le jugement du lecteur vers une interprétation particulière.
Ecrire « Le banquier Mark Pesos…» ou « Le spéculateur Mark Pesos…» ne dit pas la même chose. Dire que Mark Pesos est banquier, c’est énoncer un fait objectif. Le taxer de spéculation, c’est formuler un jugement en mélangeant information et commentaire.
Le choix des mots n’est pas neutre.
Dans une narration, utiliser chaque fois le mot le plus juste. Le mot juste, c’est le mot sans arrière-pensée.
DIFFÉRENCIER LES COMMENTAIRES ASSUMÉS
Le journaliste digne de ce nom milite pour la liberté d’expression. Il la revendique pour les autres, il est donc naturel qu’il soit le premier à la pratiquer. Le lecteur d’un journal, pour sa part, est en droit d’attendre que l’observateur professionnel qui l’informe lui fasse loyalement partager son point de vue personnel sur l’actualité. Le commentaire est un genre journalistique naturel. Mais si le journaliste défend des valeurs, il n’est pas un militant au sens politique du terme. Il n’y a qu’une seule bonne façon de garantir au lecteur l’honnêteté du traitement des «nouvelles» : séparer le traitement des faits et l’expression du commentaire. Les séparer dans la page. Physiquement : rédiger deux articles, l’un consacré aux faits, l’autre les commentant. Visuellement : utiliser pour les deux articles des polices et des forces de caractères typographiques différents. Souligner la différence dans la mise en page: d’abord les faits, ensuite le commentaire ; le titre principal pour les faits, un titre annexe pour le commentaire.
La forme du commentaire n’est pas neutre
Le commentaire, c’est de la dissertation par rapport à la narration des faits. Mais toutes les dissertations n’ont pas la même portée. Il en va de même pour les commentaires : il y a des commentaires compréhensifs et d’autres critiques.
LES TROIS FORMES DE COMMENTAIRES
Le billet, par son format court, favorise, dans le commentaire, le recours à l’humour, souriant ou féroce. Plus le commentaire est bref, plus son impact est fort : « Le matin même, Mark Pesos annonçait à ses salariés qu’ils allaient devoir se serrer la ceinture. Le voilà à son tour sommé de vider ses poches… »
L’éditorial, par son format plus long, favorise deux autres formes de commentaire: il propose aux lecteurs un argumentaire ou un jugement.
L’éditorial analytique est un article très structuré, son accroche est vive, sa chute accablante : « A force de multiplier les licenciements pour faire toujours plus de profits, Mark Pesos a fini par se mettre en danger : quelques jours avant d’être pris en otage, sans écouter les conseils de personne, il avait débarqué toute l’équipe de vigiles chargée de sa sécurité. Hier encore, il annonçait sa décision – que la plupart des observateurs jugeaient injustifiée – de se séparer d’un tiers des effectifs du groupe Pèze. Ses employés se félicitent sans doute secrètement de son enlèvement : cela devait bien finir par arriver ! »
L’éditorial émotionnel laisse s’épancher les sentiments. Il assène plus qu’il argumente : «Mark Pesos n’est pas à quelques millions près ! Pensons plutôt aux salariés licenciés ! »
L’ÉDITORIAL ENGAGE SON AUTEUR ET LE JOURNAL
L’éditorial porte toujours, en tête ou en pied, la signature de son auteur par devoir de transparence et respect du lecteur. Son contenu engage, directement, la responsabilité de son auteur et, indirectement, la direction du journal qui prend la responsabilité de le publier.
Si à l’intérieur d’une même équipe rédactionnelle, à propos d’un commentaire, deux points de vue éditorialistes s’opposent de façon inconciliable, rien n’interdit de publier, en parallèle, deux éditos soutenant deux points de vue opposés. Le lecteur appréciera.
Un éditorial non signé exprime toujours la position du journal qui le publie et engage donc la responsabilité de sa direction.