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04. Les formes journalistiques

Le journaliste produit de l’information avec ce qu’il voit et ce qu’il entend. Mais quand il transmet les faits qu’il observe, il donne une forme à son exposé. C’est la définition même de l’information: mettre en forme, du latin in formatio, in-forme … La production de « nouvelles » ne se limite donc pas à la relation des faits. Il y a dans le champ de l’information un éventail de formes journalistiques aussi large que la distance entre l’observation et l’interprétation.

QUESTIONS ÉLÉMENTAIRES, RÉPONSES ÉLÉMENTAIRES

Le premier travail du journaliste consiste à communiquer au public les réponses aux questions que tout le monde se pose quand survient un événement. Ces questions sont toujours les mêmes et appellent toujours les mêmes réponses. Les formes du journalisme élémentaire varient uniquement selon la quantité des éléments de réponse.

INFORMER, C’EST DONNER DES RENSEIGNEMENTS

Il y a toujours quatre questions élémentaires: Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? La réponse du journaliste est aussi élémentaire que chacune de ces interrogations. Elle tient en une phrase composée d’un sujet (qui ?), d’un verbe (quoi ?), d’un complément circonstanciel de lieu (où ?) et d’un complément circonstanciel de temps (quand ?). Exemple: Mark Pesos pris en otage au siège de la banque Pèze hier soir.

ON RENSEIGNE EN RACONTANT, C’EST LA NARRATION

La Brève est la forme informative minimale. Une phrase suffit: Mark Pesos, le banquier à la tête du groupe français Pèze, a été pris en otage, hier soir, vers 19h30, au siège de la multinationale, situé rue de la Monnaie. Ses ravisseurs, armés et cagoulés, se sont vus remettre une rançon de huit millions d’euros avant de prendre la fuite à bord d’un hélicoptère stationné sur le toit de l’établissement. Mark Pesos a été relâché, sain et sauf mais sonné.

Ce genre informatif impose la plus grande sobriété d’écriture. Conseil: éviter les adverbes et les adjectifs.

Le Récit est la forme informative maximale. C’est l’exposé détaillé d’une suite de faits enchaînés l’un à l’autre dans l’ordre chronologique ou logique pour transmettre au public ce que l’on sait de l’événement de la façon la plus claire. Une addition de phrases élémentaires suffit : La banque Pèze, rue de la Monnaie, était sur le point de fermer ses portes, hier soir, quand deux individus cagoulés et armés ont fait irruption dans le hall désert de l’établissement. Les deux intrus se sont aussitôt dirigés vers le bureau de Mark Pesos, au quatrième étage de l’immeuble. Les locaux de la banque, à cette heure de la journée, étaient presque vides d’employés. Mark Pesos a d’abord été ligoté à son fauteuil à roulettes, etc

Appartiennent à ce genre informatif de base toutes les formes de narration: le compte-rendu, le traitement ordinaire des faits diversl’annonce d’événements.

ON RENSEIGNE EN DÉCRIVANT, C’EST LE REPORTAGE

Le Reportage est la forme informative optimale. C’est un Récit complété par la description des faits rapportés. Cette description ajoute à l’exposé des détails tout ce qui les caractérise: couleurs, sons, émotions, témoignages, scènes de vie, scènes de mort, etc. Le reportage donne à voir. Le recours aux adverbes, aux adjectifs, aux choses vues et entendues donne aux faits une consistance concrète: 

Mark Pesos, le célèbre banquier, a été victime d’une incroyable prise d’otage hier soir, au siège du groupe Pèze, qu’il dirige. Il s’apprêtait à mettre son manteau pour rentrer chez lui, vers 19h30, quand deux individus aux visages masqués de cagoules noires ont surgi dans son imposant bureau, au quatrième étage de l’immeuble, en renversant toutes les plantes vertes sur leur passage. Selon la secrétaire de Mark Pesos, témoin de la scène, les ravisseurs seraient entrés calmement dans la pièce avant de s’exclamer : « Haut les mains, et que ça saute ! »,…

Quelle que soit la longueur de l’article toutes les descriptions ont valeur de reportage.

QUESTIONS COMPLÉMENTAIRES, RÉPONSES COMPLÉMENTAIRES

Il y a parfois, selon les faits, deux questions complémentaires: Comment? Pourquoi? Ces questions se posent quand les faits ne sont pas spontanément compréhensibles. Pour qu’on les comprenne mieux, le journaliste inclut des éclaircissements dans sa mise en forme de l’information.

INFORMER, C’EST DONNER DES EXPLICATIONS

Répondre au «comment » et au « pourquoi » des faits observés, c’est renseigner sur les origines, les causes, les motifs, les raisons qui les provoquent. C’est observer les faits de plus près, à la loupe, décrypter leur réelle nature sous leurs apparences formelles, déchiffrer leur vrai sens.

ON EXPLIQUE EN ANALYSANT, C’EST L’ENQUÊTE

L’enquête est la forme informative analytique. Elle donne à comprendre. C’est la décomposition des faits dans leurs éléments constituants. Mark Pesos a été pris en otage hier soir? Le journaliste enquêteur rassemble toutes les données disponibles puis explique quelles sont ou peuvent être les intentions des ravisseurs, comment ils ont préparé leur kidnapping, quelles répercussions celui-ci pourrait avoir sur le groupe, etc. Ce travail d’analyse implique une bonne connaissance du sujet à traiter, une documentation appropriée, des sources fiables, des témoignages précis, un temps de réflexion. Il arrive que l’enquête analytique n’explique pas certaines choses à cause de données invisibles, camouflées ou occultées. Le journaliste engage donc des recherches au-delà des données connues. C’est l‘enquête d’investigation, forme informative la plus approfondie.

ON EXPLIQUE EN FAISANT ANALYSER, C’EST L’INTERVIEW

L’interview est un procédé analytique de substitution. Quand le journaliste n’est pas en mesure de fournir lui-même les explications qu’on attend de lui il sollicite l’avis d’un spécialiste du sujet. Mark Pesos vient d’être victime d’une prise d’otage ! Vous qui connaissez bien Pèze, Monsieur Roublard, pouvez-vous nous expliquer quelles répercussions risque d’avoir cet événement sur le groupe ?… L’interview publiée sous forme de questions-réponses est la plus éclairante.

INFORMER, C’EST FOURNIR DES INTERPRÉTATIONS

Quand la narration, la description et l’analyse laissent subsister des zones d’ombre autour des faits observés le journaliste peut se poser en interprète de l’actualité: faute de pouvoir exposer les faits dans toute leur réalité, il tente de les déchiffrer à travers les fragments à sa disposition.

ON INTERPRÈTE EN ÉVALUANT, C’EST LE COMMENTAIRE

Il y a plusieurs façons de partager ses réflexions personnelles avec ses lecteurs mais toutes sont des formes de commentaire: billetchroniquedessinMark Pesos a été pris en otage hier soir, quelques heures seulement après avoir annoncé un plan de licenciement massif à ses employés? Difficile de ne pas croire que ces deux évènements pourraient être liés…C’est le lecteur qui juge de la pertinence de l’interprétation.

ON INTERPRÈTE EN CONCLUANT, C’EST L’ÉDITORIAL

Si, au terme de ses réflexions personnelles, le journaliste porte un jugement de valeur sur les faits observés, analysés, évalués, il signe un éditorialLe kidnapping de Mark Pesos signe un sursis pour ses employés. Le lecteur est libre d’épouser ou non ce point de vue mais celui-ci, de toute façon, l’éclaire sur la pensée de l’éditorialiste et constitue donc, en soi, une information.